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comme richard artschwager, dont j’apprécie la plupart des œuvres, je privilégie le subjectif, je donne son importance à chaque chose, c’est le spectateur qui construit sa relation à l’œuvre. par ses moyens de diffusion, la musique est propice à ce genre de réalisations. la partition, bien souvent le témoin de la musique, et son principal ancrage dans la réalité, guide l’interprète dans une organisation construite par le compositeur. sa première lecture, pour un musicien même amateur, donne l’intention et le style de son auteur. le graphisme que produit l’organisation des notes est révélateur d’une forme musicale. la partition par son ouverture et sa part d’expérimentation incite à la créativité. certains danseurs, chorégraphes ou plasticiens, dans le domaine de la performance, utilisent des partitions pour exécuter une création. lorsque boris charmatz a rendu hommage à merce cunningham par une chorégraphie il a utilisé le livre de ce dernier comme partition, qui était visible sur le devant de la scène. ce fut une façon de respecter au plus près le travail du disparu, et d’en faire une interprétation libre et précise.
j’ai réalisé une série de pièces, qui n’est pas terminée et qui a commencé et est née de mes échanges sur la spatialité du son avec cécile le prado, compositrice : le temps de regard du tableau correspond au temps d’écoute d’une pièce musicale. par la suite la pièce de + de réalité, celle de figures du sommeil et d’autres pièces ont confirmé ma volonté de poser le temps au spectateur. l’exposition excellente à beaubourg d’il y a quelques années, intitulée, le temps, vite m’avait conforté dans mes choix. pour le cas de ma pièce pour deux oreillers, la perception durant le sommeil ou l’endormissement est particulière et féconde en images. il s’agit de deux oreillers, et d’une seule proposition musicale. face à face, dos à dos ou seul, le spectateur/auditeur se retrouve, s’il le souhaite dans une situation quotidienne, et d’ordinaire intime. de même que lors du sommeil une grande part cachée, masquée ou filtrée, se révèle par l’œuvre. c’est le cas de cette pièce pour deux oreillers qui présente, au regard du spectateur, deux carrés blancs juxtaposés. une certaine ironie se glisse dans la présentation de deux carrés blancs sur un mur blanc. au-delà de cette référence picturale, dans un premier temps, le visiteur voit l’image que forme ces deux carrés de tissu accrochés au mur : deux oreillers côte à côte, à hauteur d’oreilles. le positionnement des oreillers, pas exactement accrochés à la même hauteur comme dans un lit qui n’aurait pas été fait, est une invitation à s’approcher. ce décalage, la mauvaise tenue du tissu des taies et leur froissement troublent l’effet visuel des deux tableaux blancs. le visiteur perçoit en avançant des sons qui peuvent l’inciter à venir coller son oreille sur l’un des oreillers afin d’entendre l’ensemble de l’œuvre musicale du compositeur, qui n’a finalement pas créé la pièce pour les deux oreillers, mais a prêté pour l’occasion l’une de ses pièces déjà écrite. la pièce, du fait du dispositif plastique, est pensée pour inciter l’approche et le contact. une seule proposition musicale est diffusée par ces deux coussins devenus filtres de murmures. le visuel est peu à peu, pour celui qui veut bien en faire l’expérience, remplacé par un état d’abandon suscité par la musique, et par la situation physique évocatrice de l’endormissement. cette position peut provoquer des regards ou de la communication avec l’auditeur voisin. cette position affirme l’appartenance des images au domaine du rêve ou de l’imaginaire, et celle des relations humaines à la réalité. quant aux sons, leur nature résolument abstraite m’avait donné dans le cadre de l’exposition + de réalité, matière à création. L’intention de la pièce est double : mettre en présence du spectateur deux notions abstraites qui ont des réalités physiques : le son et la couleur grise, et lui permettre de pratiquer l’œuvre en échappant à l’image contemplée, en poursuivant au-delà du tableau et de l’abstraction. ce tableau et toute la série qui précède ou qui suit, ont tout d’abord été une réponse à la question de l’abstraction.
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